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Le Magasin pittoresque - Dans le magazine paru le 1er janvier 1898, on pouvait y lire cet article...

Le Magasin pittoresque était un magazine hebdomadaire puis bimensuel paru de janvier 1833 à 1938. Le Magasin pittoresque était une sorte d’encyclopédie populaire qui, sans négliger les découvertes importantes modernes, s’attachait surtout à ressusciter le passé. La qualification de "Magasin" avait pour but d’indiquer que le recueil contenait un peu de tout : morale, histoire, archéologie, art, sciences naturelles, industrie, voyages, toutes matières, en un mot, qui, s’adressant au cœur, à l’imagination et au goût, seraient de nature à enrichir de distractions pures et instructives les loisirs de la vie intérieure et du foyer domestique.
Dans le magazine paru le 1er janvier 1898, on pouvait y lire cet article :

CABRETTES ET CABRETTAÏRES

Lors des derniers cortèges de la Mi-Carême, les Parisiens n'ont pas été peu surpris de voir défiler, en tête des cavalcades des étudiants, une trentaine de superbes gaillards, crânement coiffés de chapeaux de feutre souple aux larges bords, et jouant, sans se lasser, marches et bourrées, montagnardes et regrets. On avait dans ces Cabrettaïres les plus authentiques des Auvergnats. Ils l'étaient des pieds à la tête jusqu'aux chapeaux qui sont commandés, pour ces circonstances, chez le fabricant d'Aurillac, M. Galery. C'est qu'en effet, de temps immémorial, la cabrette (de cabra, chèvre) a été l'instrument national des Auvergnats. L'Ecosse a le bagpipe ; le pays des Galles, le pibroc'h ; les Abruzzes, la sordelina et le zamgrogno ; la Bretagne, le biniou ; l'Auvergne a la cabrette, lo cobreto. Tous ces instruments, on le remarquera, sont répandus - exception faite des Abruzzes - dans les pays où l'antique race gauloise parait s'être le mieux conservée; tous se ressemblent dans leurs parties essentielles.
Pourtant de légères différences les séparent. C'est un peu à tort par exemple qu'on traduit le mot auvergnat cobreto par le mot français musette. La musette a d'anciens titres de noblesse. Selon Froissart, il y en avait au siège de Valenciennes (1340) ou "elles menoient grand bruit et grand tintin" ; on la retrouve en tête du cortège lors de l'entrevue de Bayonne (1560) et, sous Louis XIV, dans la bande instrumentale dite de la Grande Écurie. Au dix-huitième siècle elle fut fort à la mode; Rameau écrivit pour elle des airs charmants et Chefdeville "hautbois et musette de la chambre du Roi" en fabriquait de fameuses. "On l'habille toujours dit l'Encyclopédie, on l'enveloppe le porte-vent d'une espèce de robe que l'on nomme couverture…
Le velours et le damas sont ce qui convient le mieux pour faire ces couvertures, parce que ces étoffes sont moins glissantes que les autres étoffes de soie, d'or ou d'argent et par conséquent que la musette est bien plus ferme sous le bras. On peut enrichir cette couverture autant que l'on veut, soit de galon, ou de point d'Espagne ou de broderie, etc., car la parure convient fort à cet instrument". Elle y convenait si fort que la musette a joué, au dix-huitième siècle, un rôle décoratif et qu'on la retrouve dans une foule de motifs d'ornementation de l'époque.
En l'étudiant dans ces représentations on s'aperçoit vite des différences qui la séparent de la cabrette auvergnate. Ses hautbois ou chalumeaux sont munis de clefs ; l'accompagnement est donné par un organe spécial appelé bourdon ; l'air est introduit dans la poche à vent, au moyen d'un soufflet fixé à la ceinture et au bras et qui se manoeuvre avec le coude. La cabrette est moins compliquée. Elle se compose essentiellement de trois parties :
1° l'embouchure par laquelle on souffle avec les lèvres (bufèt);
2° la poche à vent (ouire);
3° les chalumeaux. Ceux-ci sont au nombre de deux : le hautbois (cormèl), percé de trous sur lesquels les doigts du Cabrettaïre modulent l'air à jouer et la corne (roundinaïre) qui sert à l'accompagnement.
Les Cabrettaïres vraiment artistes ont renoncé complètement à se servir du soufflet emprunté à la musette, qui donne un son toujours plus sec et plus dur que celui qu'on obtient en gonflant la poche à vent avec les lèvres. L'aire de la cabrette est plus étendue qu'on ne pense. C'est l'instrument par excellence du Massif Central. Au sud, il dépasse Mende et Rodez; au nord, il remonte jusque dans le Bourbonnais, le Berry et la Marche. Dans ces derniers pays, cependant, l'instrument est accordé autrement que dans le sud du Massif Central. En somme, c'est surtout parmi les originaires du Cantal, de l'Aveyron et de la Lozère que se recrutent les Cabrettaïres de Paris, ceux que l'on a vus aux cortèges de la mi-carême. Ils forment une Société, société florissante, dont la bannière porte déjà plus d'une récompense et qui compte, me dit son aimable président M. Guitard, plus de cent membres.
A Paris, malheureusement, les Cabrettaïres ne sont pas dans leur cadre naturel. C'est en Auvergne qu'il faut les voir; c'est surtout dans le Cantal. Dans ce département, sur la ligne si pittoresque qui, par les vallées de la Cère et de l'Allagnon, relie Aurillac à Clermont, dans le plus frais, le plus vert et le plus riant des paysages, se trouve la charmante petite ville de Vic-sur-Cère. Vic est l'ancienne capitale du Carladès et, en attendant que la mode en fasse une des villes d'eaux les plus agréables et les plus connues de France, elle offre aux visiteurs les sites délicieux de ses environs, les curiosités de sa vieille église, de ses maisons Renaissance et de l'ancien tribunal des juges d'appeaux du Carladès. C'est là qu'en 1888, le regretté A. Bancharel inaugura par un discours en pur auvergnat les concours de cabrettes et c'est là que, depuis, ils ont lieu chaque année.
On y récompense non seulement les meilleurs joueurs, mais aussi ceux qui ont su décorer leurs instruments avec le plus de goût. On y remarquera la fière allure du concurrent qui, au premier rang des spectateurs, attend le moment de jouer à son tour.Parisiens qui avez vu les Cabrettaïres auvergnats à Paris, allez les voir chez eux, à Vic-sur-Cère, près de la source bienfaisante qui donne la force et la santé. Puis, quand vous aurez entendu les Cabrettaïres, par une belle après-midi d'été, à l'ombre des hêtres séculaires et des sapins de la montagne, remontez le vallon qui s'ouvre derrière Vic et que vous pouvez voir sur la gravure. Traversez, en vous rafraîchissant d'une tasse de lait crémeux au premier buron, le plateau du Coyan et allez jeter un regard sur la vallée de la Jordanne, moins grandiose mais aussi gracieuse que celle de la Cère. Vous apercevrez en face de vous le Suquet-dé-los-Damos, la Roche des Fées. On voit parfois à son sommet, dans la rosée du matin, la trace de leurs rondes légères. C'est là, c'est au pied de ces escarpements, qu'en 1632, le Cabrettaïre Pierre Mousset fut trouvé sanglant et blessé à mort. Il avait voulu faire danser les fées, mais quand il demanda sa récompense, quant il voulu prendre le baiser qu'à la fin de la bourrée la danseuse accorde au danseur, la fée s'évanouit dans l'air où pointait déjà les première lueur de l'aube, et Pierre, en essayant de la saisir, roula de la cime du roc. Pensez à lui en revenant à Vic, en foulant, pendant que le soleil couchant jettera, sur les puys, son rayon d'adieu, le gazon fin et serré qu'émaillent les boutons d'or et l'oeillet de poète. Les airs rustiques de la cabrette voltigeront à vos oreilles tandis qu'au fond de votre mémoire chantera la douce légende du Cabrettaïre mort d'amour.

 

Louis Farges